La route accidentée par un récent orage, et un carambolage, résonnait sous les pas d'un homme d'une trentaine d'années environ, que nous appellerons, par commodité, et pour ne rien vous cacher, le héros. Ses habits étaient sales et même déchirés par endroits, mais lui n'avait pas de séquelles, tant physiques que morales, contrairement à sa voiture, dont la carcasse gisait non loin de là, dans un état désastreux, sur le côté de la route et contre un arbre. Elle ne lui était plus utile, alors il s'en désintéressait, comme beaucoup de personnes le font avec leurs semblables, et continuait à pied, puisque les siens étaient en parfait état de marche.
Il se dirigeait seul avec flegme vers la ville la plus proche, qui se trouvait être effectivement très proche à vol d'oiseau. Sur place, il s'assit sur un banc près d'une fontaine au milieu du parc municipal de ladite ville. Il n'attendit pas plus d'une minute avant de se faire aborder par une jeune femme d'une beauté discrète. Leur discussion, dont le contenu reste encore aujourd'hui inconnu, fut brève. Quand elle s'en alla, notre héros avait le sourire large et un papier dans la main, sur lequel, quelques secondes auparavant, la jeune femme avait griffonné quelques mots, mais vraisemblablement un numéro de téléphone.
Il s'aperçut tout à coup qu'il avait chaud à la tête et qu'il était d'ailleurs temps de passer à la suite.
“Tiens, j'ai chaud à la tête ! Bon, il serait temps que je passe à la suite.”
Il se rendit à l'hôtel pour réserver ce que vous pensez, puis décida d'aller flâner un peu en ville.
Le soleil avait déjà bien décliné quand il ne déclina pas l'offre de son estomac. A l'hôtel, qui faisait également restaurant, il se commanda un bon repas. Le temps que le serveur lui apporte son plat, il sortit de la poche intérieure de sa veste le papier dont il a été question quelques lignes plus haut et composa sur son petit portable, qu'il tenait sur la paume de sa main, le numéro, que nous ne pouvons pas divulguer, griffonné l'après-midi même par une main féminine.
“ Ne perdons pas de temps. Venez dans une heure au salon de l'hôtel où je me trouve en ce moment. ”
Apparemment, la jeune femme ne devait pas avoir bien entendu, car il répéta ces deux phrases un demi-ton au-dessus. Quand il éleva le ton une troisième fois, il était visiblement mal à l'aise et provoqua le rire de certains clients, lesquels avaient repéré son numéro imprévu et improvisé, situation qui arrive à toute personne qui devient le centre des regards en essayant justement de les éviter.
L'arrivée de la jeune femme que nous connaissons déjà ne passa pas non plus inaperçue : elle était vêtue d'un pantalon et d'un t-shirt qui suivaient les courbes de ses formes et la rendaient assez désirables, bien que ce soit la même jeune femme, celle qui a accosté notre héros au parc. Celui-ci regarda celle-là s'approcher et ceux-ci semblaient se déshabiller mutuellement du regard. Il prit même un air inspiré en louchant au milieu du t-shirt, sur lequel était inscrit :
“ Oui, je suis bien une fille, hétérosexuelle et sensible au charme héroïque. ”
Elle s'assit lascivement près de lui, se pencha à son oreille, lui chuchota un message dont la teneur nous a été cachée, mais qui devait être une sorte de compliment puisque le visage du héros s'illumina. Ils se levèrent d'un même élan et il l'enleva littéralement vers les escaliers et certainement dans sa chambre pour…
(Veuillez nous excuser pour cette coupure dans notre récit, mais ils ont refusé que nous donnions des précisions à propos de ce qui s'est passé dans la chambre du héros, lorsqu'il y fut en compagnie de la jeune femme.)
Quelques minutes plus tard, elle s'en allait, arborant sur son visage une visible fierté, qu'elle ne tenta pas de cacher à ceux qui la croisèrent. Quant au héros, il ne sortit de sa chambre que le lendemain matin, pour se rendre à l'étage inférieur, dans une chambre dont la porte lui fut ouverte par une ravissante blonde. Fut-il plus surpris par la nuisette bleue marine au décolleté orné de dentelles ou par le fait que ce soit une femme ? Quoi qu'il en soit, elle lui tendit une enveloppe sur laquelle il lut :
“ Pour le héros (et un conseil : ne touche pas à la blonde !) ”
(Nous sommes désolés de vous annoncer qu'il nous est interdit de vous divulguer le contenu de la lettre.)
Le héros était désappointé. On ne pouvait pas lui apporter de plus mauvaise nouvelle. C'était comme s'il avait accompli tout cela pour rien. Non, ce n'était pas possible, ni logique. Il avait l'impression que cette lettre ne collait pas avec l'ensemble, qu'il y avait quelque chose de louche là-dedans, pensa-t-il en regardant du coin de l'œil vers la blonde. A la façon qu'elle avait d'éviter son regard perçant-de-celui-à-qui-on-ne-la-fait-pas-et-ça-ne-sert-à-rien-de-mentir, il sentait qu'elle savait quel était ce quelque chose, sans pouvoir l'affirmer péremptoirement. Or, pour éclairer la situation, il eût fallu qu'il l'interrogeât. Encore qu'il ne fût pas sûr qu'elle eût pu être une traîtresse et par conséquent au courant de quoi que ce fût. Mais il préférait un éventuel remords à un hypothétique regret ; ou l'inverse.
(Nous sommes au regret de vous informer que vous ne le serez pas, les méthodes d'interrogatoires du héros étant protégées par des droits d'auteur que notre budget ne nous permet pas d'acheter.)
Voilà qui ne l'avançait pas plus. La blonde ne savait rien, en ce qui concernait cette affaire, que le héros ne sût ou ne devinât déjà. Par contre, elle savait très bien se défendre et notre héros en fit la pénible expérience : une arcade sourcilière fendue ; mais elle s'en remettra ; si elle réussit à échapper au feu.
“ C'est éclatant cette histoire ”, toussa -t- il en sortant de l'hôtel par l'escalier de service.
Par conscience professionnelle, il tint quand même à se rendre à l'endroit où était sensé se trouver le microfilm. Il s'élança aussitôt dans le dédale des rues de la ville polluée. En chemin, il zigzaguait pour ne pas bousculer les personnes qu'il croisait rapidement, même si parmi ces personnes il y avait de jolies filles aux habits moulants, et sur les t-shirts desquelles il aurait pu lire, s'il avait eut le temps, divers messages tels que ceux-ci :
“ T'es pas mal, mais tu ne vaux pas mon homme.”
“Regarde-moi dans les yeux.”
“Si tu penses à ce que je crois que tu penses en ce moment, tu manques d'originalité.”
“Tous les mêmes, sauf papa.”
Mais notre héros, évitant toute personne, même féminine, qu'il aurait touchée s'il n'avait été d'une souplesse et d'une agilité incroyables, ne pensait qu'à sa mission et pas aux filles. C'est nous qui avons les idées mal orientées, à cause des apparences. Il suffit que nous apercevions une partie de la réalité pour nous imaginer la suite.
A l'endroit prévu, que vit-il ? Pas la moindre trace du microfilm. A la place, il tomba nez à nez sur la jeune femme du parc et du salon de l'hôtel.
“ Que faites-vous ici ? ”, lui demanda -t- il dès qu'ils furent à nouveau debout et en se massant chacun le nez.
“ Je suis venu vous prévenir… L'ennemi est au courant pour le microfilm… Il y a eut des fuites.… Vous êtes en danger… Il faut appliquer le plan B… ” Elle était essoufflée.
“ Rappelez-moi exactement en quoi consiste ce plan de secours, à l'oreille, juste pour être sûr.
— (…) ”
Donc, pour brouiller les pistes, il prit un taxi qui l'emmena à l'autre bout de la ville, puis emprunta un vélo jusqu'au parc municipal, puis acheta une planche à roulettes (plus connue sous le nom de skateboard), grâce à laquelle il put se rendre dans un magasin du centre-ville, puis déambula dans les rayons pendant près de cinq minutes, avant de sortir par l'escalier de service, enfin courut jusqu'à l'orée d'une grande forêt, vers une petite cabane en bois de chêne, à l'intérieur de laquelle se trouvait une grande rousse ravissante en petite tenue.
“ Où est-il ?
— Approche, je vais te le susurrer. ”
Méfiant, il s'approcha lentement, elle se serra contre lui et (…) en sortant de la cabane, il décida d'aller rapidement à l'endroit que venait de lui indiquer ce qu'il faut bien appeler son contact, avant que l'ennemi ne l'interceptât.
Finalement, il récupéra le fameux microfilm. Il ne lui restait plus qu'à aller le donner à ses supérieurs, en veillant bien à toujours prendre beaucoup de précautions, car l'ennemi le surveillait de près. (…)
Bref, il réussit.
Notre héros avait bien mérité le repos du guerrier. A l'hôtel, il composa à nouveau le numéro de téléphone de sa collègue, afin de la remercier pour son aide précieuse. Elle lui annonça qu'à deux minutes près, elle aurait accepté, mais un autre agent méritant venait justement de l'inviter à dîner ; une autre fois peut-être.
Heureusement, notre héros était aussi philosophe. Il se dit que ce n'était pas grave et qu'après tout, il y avait d'autres filles sut terre.
C'est sur cette pensée d'une grande profondeur épicurienne, hédoniste et sans doute sybaritique, que s'achève notre récit.
Fin
A propos, vous voulez sûrement savoir ce que ce maudit microfilm contenait de si convoité. Son secret (…)
[Nouvelle extraite du recueil Anomalies]
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5 commentaires:
Qu'est ce qu'il est fort le Héros !
Entre nous, c'est délirant !!!
J'adore ta façon d'écrire, tu m'as transporté tellement vite et loin que les passages censurés furent des moments où j'ai pu reprendre mon souffle.
Mais au fait ça se confirme t'es un malade !!!!
Chouchouchouette !!!
Bisous mon coeur.
Moi, j'osais pas le dire, mais Laeticia, elle, n'a pas hésité! (rires) Sérieusement, je ne sais pas où tu trouves ton inspiration mais c'est purement et simplement délirant! Des gens devraient écrire des thèses sur ce genre de texte, y consacrer leur vie, parce que c'est complexe, et riche, et enivrant (ou enivré... Rires)... Moi qui ai étudié Julien GRacq toute l'année (yeurk...), j'affirme que j'aurais préféré étudier l'abyssale complexité de ce texte!! (mais les créateurs de sujets d'agreg' n'auraient pas voulu, parce qu'on se serait amusé et ça, c'est in-ter-dit!!)
j'adore ton style.
c'est le genre que je prefere, je te rassure on me dis pas tres nette non plus lol
biz
Quel chance ce héros !
Toujours entouré de jolies jeunes femmes !
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